Yves Coing, directeur de l’agence lyonnaise de Praxion

La transmission d’une entreprise, pour qu’elle soit un succès doit se préparer plusieurs années à l’avance. Car aussi belle que soit la mariée, vendre l’œuvre d’une vie n’est pas chose aisée pour un entrepreneur.

Yves Coing, consultant senior chez Praxion, directeur de l’agence de Lyon et auteur de « Réussir à céder son entreprise au meilleur prix », livre ses réflexions.

Transmettre, littéralement, c’est établir une passerelle. Assurer la pérennité, la continuité, de son œuvre, du travail d’une vie tel est le souhait sincère de la plupart des entrepreneurs qui se sont pleinement consacrés, investis, parfois un temps sacrifié pour leur entreprise.

Transmettre c’est vendre, oui, mais dans un esprit de continuité, garantissant aussi la pérennité en regard des collaborateurs, fournisseurs, clients, tous ceux concernés par la dimension sociétale de l’entreprise.

Comme tout bien, elle sera acquise pour l’usage que l’acquéreur prévoit d’en faire. Cet usage dépendra de ce qui a été transmis et de la gestion ultérieure portant sur un organisme en perpétuelle menace d’instabilité sous la pression de tous les événements font sa vie.

Pour réussir à ainsi transmettre, il est une manière de structurer l’entreprise. Approche méthodologique, elle se maitrise et s’entame 3 à 5 ans avant la cession. Souvent, trop souvent cette donne est négligée.

Autre trait caractéristique de ce bien qu’est l’entreprise, elle est chargée d’affects.

Entre l’entreprise et son dirigeant se créent des liens tels qu’ils deviennent quasiment fusionnels et donc très difficiles à dénouer.

Les chiffres témoignent. Chaque année, dans le BTP, plus de 100 000 entreprises sont susceptibles d’être cédées, seulement 60 000 d’entre elles trouvent repreneurs. Trop peut d’entreprises ont été préparées à la cession-transmission et donc sont achetables, trop d’entrepreneurs n’entament pas une démarche de détente des liens qui les relient à leurs entreprises.

L’entreprise et l’entrepreneur : entre les deux, l’affect

L’entreprise est porteuse de l’ambition d’un homme, satisfait sa soif de réalisation. De ce point de vue, elle est lui.

Elle génère des risques, elle offre des champs de liberté, elle est adrénaline.

Parfois, elle demande des sacrifices, elle accapare chaque minutes et pensées, elle la vie de son dirigeant. Les psychologues parlent de confusion entre le sujet et l’objet.

Et pourtant en transmettant il va falloir se séparer et si rien n’a été préparé, il va falloir sauter dans le vide existentiel.

Alors, les hésitations et états d’âme taraudent, freinent jusqu’à interdire la cession » relève Yves Coing.

Les deux axes du projet de transmission se retrouve en une seule donne : le prix.

Le prix de l’entreprise : l’instant de vérité

Existent 2 typologies de méthodes d’évaluation 

  • Comparatives avec le prix de cession d’autres entreprises de même profil. Il s’agit donc de la réalité du marché, données pas toujours aisément accessibles, la meilleure base étant celle du fisc. Référence qui relève de la moyenne, peut peut-être mieux faire ? Alors voir du côté des méthodes intrinsèques.
  • Intrinsèques, elles traduisent le bénéfice que le repreneur anticipe de tirer de l’entreprise. Evaluer le prix consiste donc à se mettre à la place de l’acheteur et c’est là où toute entreprise à l’avance configurée pour être céder se vend rapidement et chère.

« C’est le tort des cédants, ils calculent le prix pour eux-mêmes, selon l’usage qu’eux-mêmes font de l’entreprise, entreprise qu’il maitrise à 100% et regardent au passé, de fait il donne une valeur à l’affect. Ils aboutissent à des prix surévalués qui découragent les prétendants », remarque Yves Coing.

Les clés de la maximalisation du prix : l’inertie

Fondamental, selon Yves Coing, bien évidemment préparer l’entreprise à la cession pour maximaliser le bénéfice que pourra en tirer le repreneur. Ledit repreneur ainsi investit et tout investissement se réfléchit en considérant le temps de remboursement ou de retour ou TRI de la somme consacrée à l’achat. Voilà l’autre clé.

La durée de retour en moyenne constatée pour l’ensemble des transactions est, en France de 5,7 fois les résultats nets.

La somme consacrée à l’achat se compose du prix payé au vendeur et des sommes à éventuellement consacrées pour configurer l’entreprise telle que le souhaite le repreneur. Le cédant a donc intérêt à anticiper le profil de son futur repreneur en lui offrant une durée de retour minimale, tout comme seront minimales les sommes consacrées à configurer post cession l’entreprise. Une entreprise qui se vend vite et chère est portée par l’inertie, c’est-à-dire par sa capacité à reproduire en l’état, sans complément financier, dans le futur, les résultats passés.

Et pour céder-vendre-transmettre, il faut un successeur dont existent trois typologies majeures.

Les 3 grandes typologies d’acheteurs selon la valeur de l’entreprise

  • Jusqu’à 600 et 700 K€ de valeur donc un apport nécessaire de 50%, sont attirés les cadres en envie d’une aventure entrepreneuriale. Pour être légitime, maitrise le risque, il faut pouvoir incarner la technicité de l’entreprise et non pas s’affirmer en gestionnaire généraliste.  « Or souvent, commente le consultant, les prétendants à de telles reprises sont issus de grands groupes, gestionnaire, sans technicité. Ceux qui la possèdent ne possèdent pas les fonds. A quoi bon produire des efforts qui amènent l’entreprise à valoir plus de 300 K€ sauf à la configurer pour pouvoir être céder à un proche concurrent qui fusionnera les deux entités.
  • Valeur entre 700 K€ et 1,7 M€.

Elle échappe à un individu intervenant seul. Lui faut alors trouver un partenaire financier et peu s’attache à ces valeurs jugées risquées pour des plus-values insuffisantes en retour.

Reste une autre entreprise, encore de taille contenue, elle n’aura pas de cadre à déléguer pour diriger et rechignera à en embaucher un (déficit de confiance). Nous nous retrouvons alors dans la nécessité de céder à une entreprise géographiquement proche pour que son dirigeant puisse se partager ou fusionner.

L’hypothèse de la RSE ou reprise par les collaborateurs est envisageable. Belle solution humaine comme toute autre elle comporte ses contraintes donc s’anticipe, se prépare.

  • Valeur au-delà de 2M€ :

Taille offrant de l’inertie, des ressources, un potentiel d’économies dont par synergie, hautement « désirable », elle attire les financiers, les groupes qui recherchent une enseigne, une marque des collaborateurs. Indubitablement investir dans la croissance externe paie plus que concentrer ses moyens sur une croissance interne.

« La transmission peut effectivement se révéler très compliquée et souvent elle le devient par impréparation chronique. En effet, il s’agit là souvent du seul domaine dans lequel le chef d’entreprise est inexpérimenté et pourtant sur la lancée de sa programmation intime, il y va seul sûr d’une science qu’il ne possède pas.

Une transmission réussie nécessite en moyenne 5 ans de préparation en organisant son entreprise pour l’autre, autre dont il faut avoir prédéterminé le profil. Et par ailleurs, il faut se préparer un autre projet de vie, riche, qui attire.

A défaut la transmission est un calvaire, un renoncement donc un échec. 2/3 des dirigeants qui cèdent dans ces mauvaises conditions par après tombent malades.

Tout patron devrait se former à la transmission et la prépare 5 ans avant la date souhaitée de sa réalisation. »