Evolution majeure des nouvelles générations face au travail, bouleversement du management lié à la crise sanitaire… Jamais l’attractivité des entreprises n’a autant bousculée. Face à ces nouveaux défis, les cabinets de recrutement experts ont un rôle majeur à jouer. Jean-Claude Jouanillou, Consultant senior au chez Praxion livre son éclairage sur ces questions qui feront l’emploi de demain. Entretien.

Quels sont aujourd’hui les métiers en tension, de façon globale et plus spécifiquement dans le bâtiment ?

Jean-Claude Jouanillou :

Les secteurs d’activité en tension ne sont plus uniquement le bâtiment et les métiers de l’IT. Dans les fonctions, les ingénieurs, les techniciens, les métiers de l’itinérance sont plus que pénuriques.

Certains métiers ont continué de se développer pendant la pandémie. Depuis le Covid, ce sont des métiers en tension. Dans le bâtiment, je pense notamment à la menuiserie, aux fabricants de fenêtres, de stores, etc.  Ce sont des secteurs en plein essor. C’est très dynamique, les recrutements vont bon train.

Ce que l’on constate en revanche, c’est l’inadéquation structurelle entre les besoins de la filière et les formations. Or, c’est très positif, on a constaté, pendant le dur de la crise, un véritable boom sur l’apprentissage, et c’est nouveau. Les aides à l’embauche de Bercy ont débloqué le sujet. L’apprentissage, c’est un système vertueux, qui permet aux jeunes de découvrir sur le terrain un métier, et aux entreprises de recruter plus facilement selon leurs besoins, important dans le secteur du bâtiment comme de l’énergie.

Comment attirer les talents à l’ère post-Covid ?

Les employeurs sont confrontés à un changement profond de mentalités des jeunes recrues, c’était déjà dans l’air et le Covid a sans doute renforcé ces tendances.  Avant, un salarié restait en moyenne 7 ans dans une entreprise, aujourd’hui c’est 5 ans. Les personnes, à commencer par la nouvelle génération qui rentrent sur le marché du travail, ne raisonnent plus en termes de durée, de carrière, mais de projets, qu’elles considèrent comme un vecteur d’ascension sociale. L’équilibre entre la vie personnelle et professionnelle est devenu crucial, les jeunes sont en quête d’équilibre entre ces deux pôles.  Par exemple, les salariés acceptent moins de temps de transport, aujourd’hui. La mobilité devient un problème. L’émergence du télétravail a par ailleurs créé des discriminations entre les salariés de terrain dans le bâtiment et ceux du back office, des fonctions marketing, etc.

Pour l’employeur, cela signifie que la notion de projet, d’authenticité, de sens, de flexibilité est devenue l’une des premières valeurs pour attirer les talents. Puisqu’il n’est plus à prouver qu’un salarié heureux est plus performant. On trouve même dans certains grands groupes, des « Happyness Officer Managers ».

La première motivation reste, certes, le salaire, mais le point crucial se situe entre la perception de ce salaire et la motivation du salarié, qui mettra dans la balance le niveau de qualité de vie que l’entreprise est en mesure de lui offrir. Les entreprises qui sont en capacité, au-delà du salaire d’offrir au salarié de bonnes conditions de travail à la maison, de vrais moyens, les équipements adéquats, sont gagnantes. Tout en faisant en sorte que les équipes se voient, que la dynamique collective ne soit pas affectée. Un exercice difficile, à équilibre précaire, de nouveaux défis pour les managers. Le tout sur une toile de fond inflationniste, d’où une tension sur les salaires.

Assiste-t-on également à une redistribution des cartes concernant l’écosystème des cabinets de recrutements ?

On assiste à une ubérisation du recrutement depuis le début des années 2000, ce n’est pas nouveau mais le phénomène s’accélère. Il s’agit pour le consultant en recrutement d’apporter une valeur ajoutée, d’être plus créatif, de personnaliser ses services.

La spécialisation des cabinets de recrutements permet une meilleure expertise des métiers du secteur dans lequel ils oeuvrent.

Ce sera de plus en plus vrai, d’autant que l’on constate l’ouverture aux recrutements à des profils de plus en plus atypiques. Il faut savoir qu’aujourd’hui, un recrutement sur 2 s’avère un échec au bout de 18 mois, selon des données récentes de l’APEC. Dans 9 cas sur 10, il s’agit de problèmes de compétences, mais il s’agit de souci d’adaptation à l’entreprise.

Les compétences s’acquièrent, le comportement, cela ne change pas ou très lentement. Ce n’est pas à l’entreprise d’endosser ce rôle. Évaluer les comportements demande plus qu’un ou deux entretiens. C’est l’expertise du recruteur et le temps consacré à cette évaluation objective.

L’autre révolution qui s’est produite, c’est qu’on ne recrute plus par annonces classiques. Les jobboards ont tué la presse spécialisée, les prestataires comme Indeed, Hellowork, Meteojob etc. (issus de la génération IT) sont devenus incontournables avec une offre de service pour les RH étendue. Conséquence directe, le prix des missions des consultants a beaucoup baissé. L’émergence des réseaux professionnels, comme Linkedin participent bien sûr de ce phénomène. Sans compter l’arriée des plateformes de recrutement, comme Welcome to the jungle, qui travaillent avec de l’IA, des outils de matching, etc. Même si de gros acteurs, résistent, comme Figaro Classifieds, ces nouveaux acteurs, sont là, ils sont installés, ils existent et ont toute leur place dans le monde actuel du recrutement.

Les cabinets dits traditionnels doivent suivre, suivent, ils ont toujours su adapter leurs outils. C’est le cas de Praxion, qui fort de son expertise, a adapté et adapte en permanence ses outils grâce à la digitalisation.

Le paysage du recrutement non virtuel, cela va être, de plus en plus, les grands spécialistes qui font du volume, et les spécialistes qui résistent sur des niches, en créant de la valeur ajoutée. La vraie valeur ajoutée, c’est le conseil.  La capacité, par exemple à conseiller les entreprises sur leurs organisations, la connaissance partagée de la réalité du monde du travail, à potentialiser les talents non plus seulement sur leur expertise métier mais sur les comportements et les aspirations des candidats, sur l’intégration réussie, à faire, in fine, du recrutement sur mesure, objectif et mesurable.